Model/Actriz : et le mot “pirouette” prend sens
Model/Actriz - Pirouette / True Panther / 2025
@Kane Ocean
Le nouvel album de Model/Actriz va chercher dans la noirceur et le bruit pour livrer une expérience sensuelle, émouvante, et très théâtrale.
Attention album de l’année ! On n’est qu’en Mai, pourtant je pense être assez confiant sur ce call, en tout cas me concernant, et je vais essayer de vous en convaincre. Si vous êtes bien branchés sur ce qui se fait sur la scène post-punk actuelle, vous connaissez déjà sans doute Model/Actriz, si ce n’est pas le cas, laissez-moi vous faire une petite présentation avant de commencer.
Model/Actriz sont : Cole Haden à la voix, Jack Wetmore à la guitare, Aaron Shapiro à la basse et Ruben Radlauer à la batterie. Leur groupe est né en 2016 à Boston, et évolue désormais à New-York. Leur premier album Dogsbody sorti en 2023 dévoilait déjà un son unique, porté sur le bruit, la sensualité et la percussion. En gros si je dois définir leur musique très rapidement je dirais que c’est un groupe de noise-rock qui traduit toute l’énergie et la rythmique de la musique dance en détournant les instruments classiques du “rock” et en y infusant une grosse dose de bruit bien sale et énormément de sensualité.
J’ai eu accès à leur nouvel album Pirouette il y a fort longtemps, et je me retrouve encore à écrire cette chronique le jour de la sortie alors que j’aurais pu en profiter pour l’écrire bien avant et avoir un article posté en avant même la publication de l’album, comme tous les bons médias qui se respectent (je suis journaliste bordel ! non ?). Bref, l’essentiel est d’en parler, et j’ai beaucoup de choses à dire. Je l’ai ÉNORMÉMENT écouté, et plus je l’écoute plus j’ai envie d’y retourner, il opère un magnétisme très étrange sur moi. C’est à la fois un défouloir et un moment zen, dépendant de l’angle avec lequel on le prend. Si au début j’écoutais que les titres les plus violents et énergiques, je me retrouve avec le temps à plutôt me diriger vers les morceaux plus écrits, plus calmes, plus touchants sur le fond.
Car ce qui fait toute la puissance de cet album, et de la musique de Model/Actriz en général, c’est leur approche du concept de “tension and release” (je l’ai faite en anglais mais j’aurais très bien pu dire “tension et relâchement”). L’alternance de titres bruitistes très percussifs et métalliques avec d’autres carrément ambiants et langoureux le long de l’écoute fait qu’il est quasi impossible de ne pas se faire l’album d’une traite à chaque fois. Tout est cohérent. Une des spécificités notables de Model/Actriz, et en particulier de l’écriture de Coel Haden, est son approche de la sexualité et des relations homosexuelles, de manière super tendre comme super hard. L’écriture sur cet album est absolument fantastique. Le storytelling est dingue et on a le droit à des moments de pure beauté et d’autres beaucoup plus bruts, mais toujours avec cet aspect théâtral, mis en scène. J’ai jamais encore vu le groupe en live, mais j’ai cru comprendre en lisant par-ci par-là que le même feeling s’en dégage de leurs shows, avec un Cole Haden central et ultra captivant.
Je me demandais pourquoi le nom Pirouette comme titre de l’album, et je pense avoir compris au bout de quelques écoutes. Pour moi, le mouvement de pirouette c’est un peu le mouvement caricatural de la danse “classique”. C’est le 360 sur la pointe du pied, c’est élégant, c’est le mouvement de la danseuse dans les petites boîtes à musique, etc. Mais je trouve que ça peut aussi être parodique. Une pirouette mal faite c'est ridicule, on peut tomber en faisant une pirouette, pirouette cacahuète d’ailleurs. Enfin bref, c’est un terme assez polysémique je trouve, de mon point de vue.
Et pourquoi je dis ça ? Parce que je trouve que le sentiment général qui se dégage de l’écoute de cet album, de ses paroles, c’est celui de la beauté dans le fait d’essayer, de perdre, de s’écrouler, de SE perdre mais aussi et surtout de l’amour et de la fraternité. Rien qu’en me relisant je me fous la flemme, mais c’est trop vrai. Le truc de pirouette etc, c’est les situations dans lesquelles se retrouve le chanteur quand il se fait des mecs pendant sa tournée et qu’il peut plus les voir au bout de 2 jours parce qu’il change de ville par exemple, comme il le dit sur le titre Diva (un des titres de l’année !). Ce même personnage, qui n’en est pas un finalement mais bien Cole Haden en personne, qui se déguise, se met en scène, véritable diva pour le coup (le mec est fan de Liza Minelli, Kylie Minogue ou encore Grace Jones). Et je trouve ça vraiment trop cool d’avoir un représentant de la communauté LGBT frontman d’un groupe de noise-rock qui envoie du très très sale, chose encore assez peu commune.
« You could call me a small business owner,
Living in America while trapped in the body of
An operatic diva »
Car oui, il y a du très très sale. Quand j’ai essayé de connecter le groupe avec d’autres du même style il m’est direct venu en tête des noms comme Nine Inch Nails pour l’aspect sensuel/BDSM, Xiu Xiu également avec les chuchotements remplis de tension, et enfin Girl Band, dans leur façon de torturer les guitares en les jouant de manières peu conventionnelles pour créer un maximum de bruit. Je sais pas trop comment ils se démerdent pour créer ces sonorités d’ailleurs, je pense qu’ils font des boucles de notes de guitares pincées pour créer un beat au gros BPM comme sur un synthé, avec une basse vrombissante au possible, très ample qui vient recouvrir d’un voile sombre toutes les basses fréquences.
L’intro Vespers fait tout de suite comprendre qu’on va passer une écoute intense “all that glitters remains forever” sont les premiers mots d’ouverture. On retrouve direct le son signature du groupe : grosses pulsations, chant sensuel, sons métalliques, dissonances mêlées à de très belles harmonies, bref la recette Model/Actriz. Et ça déroule comme ça. Le titre suivant Cinderella était un très gros single aussi, vous avez également Diva dont j’ai déjà parlé mais qui mériterait à lui seul un article tant y a des phases de dingue à citer. Bref c’est trop fort, encore plus le passage où il fait “I’m such a fucking biiiiiiiiiiiiiiiitch girl you don’t even know”. Mais je m’arrête là, vous irez l’écouter.
Puis juste après on a un titre super deep, sur un fond ambiant où il nous raconte son coming out qu’il a fait à son amie d’enfance à l’école, et comment il est tombé amoureux d’un ami à elle en secret, et comment il entretenait une fascination pour lui sans jamais rien lui dire avec cette sublime phrase : “Asking god to make him see me in all the ways I couldn’t”. Vous avez aussi le titre Audience bien véner, avec des petits bursts de guitare ultra saturée comme le fait girl band (vous pouvez voir en action sur leur live KEXP), qui met encore l’accent sur cet aspect théâtral, ici en l'occurrence l’audience c’est juste lui devant un partenaire dans une chambre éclairée de rouge. Mais là où on atteint réellement les sommets du bruit, c’est sur Ring Road. Une pluie de métal et de vibrations explosives, de saturations, de guitare dissonante, le paradis.
Et puis l’album se clôture avec le titre Baton, qui va en faire pleure plus d’un. Sorte de lettre d’amour à sa soeur/meilleure amie, rappelant les moments de l’enfance, son soutien et sa présence indéfectible depuis toujours, et surtout le sentiment de se sentir aimé et considéré à la hauteur de comment lui la considère : “It can feel strange knowing I’m a person, like you are to me sister”. Bref c’est trop beau c’est magnifique.
Pirouette est vraiment un album exceptionnel. Tout dans le son comme dans les textes dévoile une véritable vulnérabilité à travers la violence, et le tout s’enchaîne à merveille, la tension et le relâchement (en français cette fois ;)) opèrent tout du long pour nous plonger dans un spectacle très fort en émotions. Tout est très stylisé, très apprêté, des mises en scènes dans les textes au travail du son, qui même s’il peut paraître chaotique parfois est en réalité le fruit d’un gros travail d’expérimentation et de technique. Même la pochette de l’album et les artworks renvoient à une esthétique gothique étrange, genre les portails en fer forgé scultés à l’ancienne, je sais pas ça m’évoque un sentiment spécial.
Bref, je vais pas m’éterniser de plus, vous avez compris qu’il ne faut absolument pas faire l’impasse sur ce nouvel album de Model/Actriz, mais alors vraiment pas du tout. Foncez !
Vous pouvez également écouter Pirouette sur toutes les plateformes, dont : Spotify, Apple Music, Deezer et Qobuz.